Le Comité Midi Pyrénées de l’Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA) récemment créé a réussi pleinement sa première manifestation, qui s’est déroulée en deux temps forts le dimanche 18 août 2013 à L’Isle-Jourdain dans le Gers.
80 participants, en présence de Jacques Pradel, président de l’ANPNPA et de Francis Pornon, écrivain intervenant, ont été invités à voir le film de Gianni Amelio « Le Premier Homme » tiré du roman posthume d’Albert Camus publié en 1994.
Avant la projection, Allain Lopez, secrétaire du Comité ANPNPA-Midi Pyrénées adresse les mots de bienvenue, tient à remercier au nom de l’Association Madame Le Souple qui a permis le partenariat avec le cinéma l’Olympia, précise que « ce film n’est pas une autobiographie de Camus : c’est l’histoire d’un homme qui, à 40 ans, revient sur son passé pour comprendre d’où il vient et qui il est ! ». Puis, il situe ainsi l’écrivain Camus, né en Algérie en 1913 : « Son œuvre aussi admirable que controversée soit-elle ne peut nous laisser indifférents. Universelles, la pensée et l’écriture de Camus sont passionnément arrimées à la terre d’Algérie. Ses admirateurs et ses amis l’ont « boudé » au lendemain de l’indépendance alors que la question nationale se négociait par les armes. Le reproche principal formulé contre Camus, homme de gauche, est bien celui-là : ne pas avoir senti, dans les années 1940, la montée inexorable du nationalisme algérien indépendantiste. Ce différent, sans avoir été apuré réellement à ce jour, a cependant enregistré, au cours des dernières années, un recul de la polémique, révélateur d’un apaisement des passions. En effet, on a vu revenir en force le nom de Camus sur les scènes culturelles de France et d’Algérie. » Puis place au film.
Après le film, un débat serein d’une demi-heure s’est engagé dans la salle. Il serait fastidieux de détailler ici toutes les questions posées et les réponses formulées tour à tour par J. Pradel et F. Pornon, écrivain ayant vécu en Algérie.
Elles ont porté sur les relations et interactions entre les intellectuels français et algériens pendant la guerre d’Algérie et l’influence de Camus ? Ce qui domine dans « l’esprit de Camus, c’est la question sociale, l’égalité républicaine, donc même une Algérie qui, enfin, se place dans un réel cadre républicain. Camus est l’homme d’un temps où la colonisation n’était pas, dans trop peu de cercles politiques français, appréhendée comme la négation de l’autre ». Ses multiples reportages le montrent, en 1939 ou en 1940, il reste attaché à combattre la misère sociale sans « voir » la revendication du droit à l’existence, à la souveraineté, d’une partie importante de la population algérienne musulmane !!
Son ambiguïté est révélée dans son « Appel pour une trêve civile en Algérie » qu’il propose en janvier 1956 ! Le discours de paix est entendu mais les « armes ne vontpas se taire ». C’est trop tard ! Autre question ; Le rôle des pieds noirs indépendantistes, des oubliés de
l’histoire ! Leur parole a été occultée par celle des ultras et leurs associations qui ont fait croire que tous les pieds noirs étaient pour l’Algérie française. Pourtant, une minorité non négligeable de Français d’Algérie ont pris le parti de l’indépendance à différents stades jusqu’à prendre les armes et, pour certains, mourir pour leur engagement. Comme Pierre Ghenassia- Maurice Laban- Raymonde Peschard- Roland Siméon- Georges Raffini- Henri Maillot et d’autres, morts au maquis ; comme Fernand Yveton ou Maurice Audin. Sans compter tant d’autres qui ne payèrent pas de leur vie leur engagement pour une Algérie nouvelle. Sans parler du centre d’internement de Lodi où se sont succédés des centaines d’Européens, enfermés de façon arbitraire de 1955 à 1960 ! Et de nous dire aussi que « les pieds-noirs ne sont pas un bloc monolithique et l’histoire est plus nuancée qu’on le pense » (Nathalie Funes, « Le camp de Lodi, 1954-1962 », Ed. Stock 2012).
Autre question, sur l’algérianité de Camus ! Les avis sont partagés. Camus l’Algérien ? Camus le Français ? Les deux intervenants s’accordent à dire que Camus est « un immense écrivain méditerranéen, qui fait partie du patrimoine culturel des deux rives » mais c’est surtout l’école algérienne qui peut en convaincre l’Algérie !
Camus pas mort se serait-il reconnu dans l’ANPNPA ? Oui, répond sans ambages J. Pradel car les valeurs transcrites dans la « Déclaration des membres fondateurs de l’ANPNPA » sont des valeurs que Camus défendaient, d’humanisme, de partage, de justice et de fraternité entre les peuples français et algérien pour un avenir commun à tous.
La soirée s’est poursuivie, et vers 21h le couscous de l’amitié, concocté par Rachida et son amie (comme là-bas avec viande d’agneau), était servi dans la salle du Lac de l’Isle Jourdain.
C’est avec la promesse de continuer des activités renouant des relations de fraternité franco-algérienne que cette soirée s’est achevée.