A propos du film ‘‘Hors la loi’’ de R. Bouchareb
Le dernier flim de Rachid Bouchareb, “Hors-la-loi”, évoque pour la première fois au cinéma, les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata perpétrés en mai et juin 45 par l’armée française, hélas aidée d’ultra-colonialistes organisés en milice. Initiée par plusieurs députés UMP, de Elie Aboud (voir le lien file:///Users/jacques/Desktop/Abod%20et%20’Hors%20la%20loi’.webarchive) à Lionel Luca, et relayée par le secrétaire d’Etat aux anciens combattants Hubert Falco, une campagne négationniste se développe dans laquelle s’engouffrent organisations nostalgériques et l’extrême droite. Aucun de ces acteurs n’avait pourtant encore vu le film, visionné à Cannes le 21 mai, mais pas encore projeté en salle.
Ce n’est pas dans la simple évocation des massacres de mai 45 qu’il faut chercher l’origine de cette campagne ; la France les a reconnu, en 2005 puis 2008, par les voix de ses deux derniers ambassadeurs en Algérie. Ni dans la présentation des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata que Rachid Bouchareb donne dans son film, que nous n’avons pas encore vu ; quelque que soit cette présentation, ce sera qu’une contribution, précieuse mais à prendre comme telle, d’un artiste à l’histoire. Il faut plutôt comprendre cette campagne comme un épisode dans la politique de réhabilitation de l’histoire coloniale jusque dans ses moments les plus sombres, jusqu’à l’OAS. Le site de la LDH de Toulon présente une analyse argumentée de cette volonté : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article3890.
Vous trouverez ci-dessous, toujours à propos du film de Bouchareb, une contribution de Modeste Alcaraz, membre du bureau de l’ANPNPA.
HORS JEU !
Pas moins de 10 articles ou interventions de personnalités et quatre photographes parus sur le quotidien Nice Matin, sur un film présenté au Festival de Cannes.
S’il n’a pas eu de palme par le jury, ce film aurait pu avoir le premier prix sur le nombre de lignes écrites sur lui.
Je veux parler du film de Rachid Bouchareb : Hors-la-loi.
Le scénario commence 1 mois avant la projection officielle de ce film par un article de notre député, habitué à ces envolées lyriques, Lionnel Luca. Cet élu a le don de voir dans le futur mais surtout le don d’attiser les braises toujours chaudes pour les nostalgiques d’un passé colonial en Algérie et ailleurs.
Relayée aussitôt par d’autres élus de Cannes et ses environs, préparée comme aux anciens temps de l’Algérie française par des nostalgériques (la moyenne d’age des manifestants était de 70 ans) la manifestation a été prise au sérieux par les autorités (Nice Matin du 21 mai), pas à cause de la présence des vieux baroudeurs et combattants mais par la venue de jeunes loups extrémistes de droite.
Après des affiches provocatrices des régionales par le Front National, quoi de plus excitant pour ces extrémistes que de se frotter à des contre manifestants qui seraient venus des quartiers populaires ?
Il y a eu comme une odeur de naphtaline de voir tous ces manifestants en tenue de parade de guerre pour « un remake de la guerre d’Algérie sur les marches du Palais » (Nice matin du 21 mai). On aurait vu Jacques Peyrat (ancien sénateur maire UMP de Nice et ancien chef de file du FN du 06) avec son béret de para !
Après la projection du film présenté aux journalistes (experts en la matière) et avant la projection au grand public, le ton a baissé. Sur Nice Matin, la critique reprenait sur le résumé du film qui « au delà du contexte historique, le film s’attache surtout à raconter (plutôt bien) le destin tragique des trois garçons. » « Révisionniste, sa vision de la décolonisation ? Certainement pas. Sauf à penser, bien sûr, que les torts et la violence n’étant que dans un camp. »
Ces politico historiens se sont mis hors jeu tous seuls.
Sur 2h11 de projection, seulement une petite vingtaine de minutes sur les faits tragiques du 8 mai 1945 à Sétif et dans la région du Constantinois. Pas de quoi polémiquer et attiser les foules pour un film et un de plus, qui essaie, à travers la vie de gens, de placer un peu d’histoire. Combien de films anglo saxons sur des sujets lourds de leur histoire, ont déformé les réalités ?
Le film Hors-la-loi doit être projeté pour le grand public le 22 septembre. Dans notre département aura-t-il le droit à une projection calme et longue dans le temps sans interdiction mais surtout sans débordement ou manifestation de factions extrémistes de tous bords ?
Rappelons-nous de la La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo qui raconte le soulèvement des Algérois contre l’occupation française dans les années 1954-1957. Lion d’or au Festival de Venise, en 1966, le film ne recevra son visa d’exploitation pour la France qu’en 1970. Interdit pour « troubles à l’ordre public » après des manifestations de l’extrême droite, il faudra attendre 1971 pour le voir en salles. Mais le film restera pratiquement inédit en France jusqu’en 2004, année où il fut diffusé à une heure de grande écoute sur Arte.
Pour ceux et celles qui veulent connaître une partie de l’histoire de cette époque. (beaucoup d’ouvrages ont été publiés), en mai 1945, après l’intervention armée de la police contre un cortège de manifestants algériens à Sétif le 8 mai, le Constantinois fut le lieu d’une insurrection nationaliste brutalement réprimée par les autorités françaises. Une Commission d’enquête officielle fut nommée le 18 mai 1945, sous la présidence du général de gendarmerie Paul Tubert. Mais, très rapidement, la Commission dut interrompre son travail sur ordre du gouvernement du général de Gaulle.
Le général Tubert a laissé un rapport que la Ligue des droits de l’Homme a rendu public en avril 2005 et qui est téléchargeable sur le site de la Ligue de l’enseignement : http://ww1.laicite-laligue.org/inde…
Comme le dit dans Nice Matin du 22 mai, un algérois (comme moi) de 73 ans (j’en ai 56) : « remuer ainsi la vase, c’est ignoble », oui, mais remuer l’histoire c’est salutaire pour les générations présentes et à venir. Il ne faut pas dénigrer et tronquer les faits au profit de quelques uns.
Si comme le dit ce pied noir, s’il y a eu de la vase c’est que quelque chose de pas beau et pas humain s’est passé en Algérie pendant toutes ces années de colonisation.
Six professeurs d’universités, historiens et chercheurs du CNRS dans Le Monde daté du 5 octobre 2007 expriment la plus vive inquiétude à l’annonce d’une Fondation pour la guerre d’Algérie annoncée par le premier ministre en 2007 et prévue par l’article 3 de la loi du 23 février 2005. Ils s’engagent à rester vigilants sur sa mise en oeuvre.
Ils écrivaient dans le journal, entre autre, ces passages :
Il est temps, pourtant, de cesser de rejouer la guerre d’hier et que la recherche emprunte une voie transnationale, en mêlant chercheurs des deux rives de la Méditerranée.
Il est temps d’en finir avec la « guerre des mémoires ».
Il faut construire une histoire partagée, fondement indispensable d’une relation apaisée entre les descendants de familles héritières de mémoires contradictoires. Il nous paraît essentiel de continuer à écrire l’histoire et d’affirmer notre foi dans la lutte contre les simplismes, où qu’ils se situent.
Modeste ALCARAZ
Algérois d’origine européenne